Yap Boum II, directeur général de l’Institut Pasteur de Bangui, un diplômé engagé pour la santé en Afrique
Yap Boum II est originaire du Cameroun. Il rejoint la France pour ses études supérieures. Au sein de l’Université Paris-Saclay, il obtient d’abord un Master en microbiologie à la Faculté de pharmacie puis un doctorat à la Faculté des sciences. Depuis il travaille à l’institut Pasteur de Bangui en République Centrafricaine, il a fondé deux entreprises au Cameroun.
Quel est votre parcours de formation ?
Mon parcours commence à Angers où j’ai atterri en provenance du Cameroun et de Yaoundé après avoir obtenu mon bac Scientifique. J’ai d’abord étudié la biologie dans le cadre d’un DEUG (équivalent de la licence) après un passage à la Faculté de Médecine et de Pharmacie au sein de l’Université d’Angers. Puis j’ai rejoint l’Ile-de-France et l’École de Biologie Industrielle, une école d’ingénieurs située à Cergy où je me suis spécialisé dans le management, la qualité et la réglementation. Lors de ma cinquième année, je me suis inscrit en parallèle à la Faculté de pharmacie de l’Université Paris-Saclay où j’ai obtenu un Master en microbiologie. Enfin, j’ai poursuivi mon parcours au sein de l’Université Paris-Saclay mais du côté sciences avec l’Institut de Génétique et de Microbiologie (IGM) où j’ai validé un doctorat.
Pourquoi avoir choisi la France ?
Il y a une grande histoire, y compris coloniale avec beaucoup d’étudiants camerounais venant poursuivre leurs études en France. Pour moi, le lien était presque « tout tracé » puisque j’avais obtenu mon baccalauréat au Lycée Français Fustel de Coulanges de Yaoundé !
Pourquoi avoir choisi l'Université Paris-Saclay ?
Je souhaitais faire une thèse en recherche appliquée sur un sujet qui aurait du sens pour l’Afrique et qui me permettrait de travailler très concrètement sur les maladies infectieuses notamment la tuberculose très présente en Afrique et les ulcères gastriques dus à Helicobacter pylori avec certains proches qui étaient touchés. J’ai pu concevoir grâce à l'Université Paris-Saclay et l’Institut de Génétique et de Microbiologie (IGM) une thèse sur-mesure.
Quel souvenir en gardez-vous ?
Je garde un très bon souvenir de l’Université Paris-Saclay. L’environnement est superbe avec le cadre de la vallée de Chevreuse. Sur le plan social, je me suis intégré rapidement grâce au Club de football qui permettait de jouer en salle et en extérieur. Pour le volet académique, l’IGM est un très bel institut où j’ai passé 4 années enrichissantes, un moment remarquable de ma vie et de ma carrière avec tout ce qu’un étudiant peut espérer retrouver dans un laboratoire pour sa recherche. J’y ai appris une multitude de techniques, et j’ai pu bénéficier de collaborations fructueuses comme par exemple lors d’un voyage aux USA durant lequel j’ai pu séjourner au Scripps Research Institute en Californie, qui est un important centre de recherche en science et en santé humaine dans un environnement compétitif, propice et source d’émulation.
Vous avez mené en parallèle vie professionnelle et complément d’études, quels sont les atouts de la formation continue ?
J’ai obtenu en parallèle de ma carrière un Master en épidémiologie à Liverpool et un MBA à Cape Town spécialisé dans le leadership et l’entrepreneuriat qui ont été deux excellents compléments au background que j’avais déjà. A l’époque, je travaillais pour Epicentre au Ouganda, qui est la branche recherche de Médecins sans frontières. J’avais besoin de muscler ma compréhension de la santé publique au-delà de ce que j’avais observé en laboratoire et de ce que j’avais appris en biologie. Mes différents postes ont été source d’évolution professionnelle avec des responsabilités managériales de plus en plus importantes pour lesquelles j’ai voulu être formé.
Vous êtes fondateur de deux entreprises Kpermard et IDocta. Pouvez-vous nous présenter ces deux aventures entrepreneuriales ?
Kpermad est ma première aventure entrepreneuriale initié par deux amis et mon épouse qui s’était rendue compte de la précarité menstruelle des jeunes filles en zone rurale en Ouganda et qui avait découvert au Canada les serviettes hygiéniques valables et réutilisables. Nous avons mené une enquête pour évaluer les besoins et la faisabilité au Cameroun. Nous nous sommes rendus compte que les femmes avaient recours à des moyens précaires voire même dangereux car infectieux, par exemple des feuilles séchées, du coton, du papier toilette ou même du tissu ou des boules de tissu usagés. Nous avons aussi fait le constat qu’il y avait un défaut en termes d’éducation relative à l’hygiène menstruelle car les menstruations sont taboues, les jeunes filles les découvrent seules ou du moins entre copines, et il est presque impossible d’échanger avec sa mère sur ce sujet. Kpermad répond à un enjeu économique car les serviettes hygiéniques jetables sont onéreuses en comparaison du salaire moyen des femmes au Cameroun qui tourne autour de 50€. Les produits les moins chers sont de piètre qualité et ne répondent à aucune norme et ceux importés restent onéreux et inaccessibles aux populations. Les serviettes hygiéniques jetables ont un impact environnemental car à usage unique et sont sources de dépense pour l’Etat. Elles sont souvent jetées directement dans les toilettes et bouchent les canalisations. Kpermad a démarré avec 3 couturières et aujourd’hui nous embauchons 40 couturières avec une diffusion de nos serviettes au Cameroun et les pays alentours dans de petits magasins mais aussi en grande surface, nous devrions avoir prochainement une livraison en Centrafrique via l’Unicef.
IDocta est une sorte de Doctolib pour le Cameroun mais tandis que Doctolib est une plateforme de mise en relation avec des médecins disponibles, IDocta offre aussi la possibilité de réserver la visite d’un médecin à domicile. L’idée m’est venu en République Démocratique du Congo, ma mère au Cameroun a eu des soucis de santé et j’ai dû me débrouiller à distance pour lui trouver un médecin qui puisse se rendre chez elle. La partie technologique est venue d’un de Yannick Mbarga à l’époque un de mes étudiants à la faculté de pharmacie de Douala. Tout le monde n’a pas les capacités ou les besoins d’aller à l’hôpital qui peut être ainsi désengorgé. Notre modèle est encore en construction, nous sommes une start-up mais ce que nous proposons présente beaucoup d’avantages, on réduit le coût des séjours à l’hôpital, du trajet des patients et des trajets allers-retours de la famille, le patient reste dans un environnement familial où il se sent en sécurité avec ses habitudes du quotidien sans risque d’isolement social.
Vous avez aussi lancé « The Village », pouvez-vous nous présenter cette initiative ?
The Village est une nouvelle plateforme numérique qui utilise l'intelligence artificielle pour faciliter les relations des différentes parties prenantes de la santé globale. La plateforme permet de faire « matcher » ceux qui ont un besoin et ceux qui ont la ressource ou du moins un début de réponse. Une solution digitale intelligente qui permet de connecter chercheurs, cliniciens, étudiants, doctorants, institutions, philanthropes, ou encore éditeurs et casser les barrières des pays et de la langue. Lancée en décembre 2022, l'initiative compte déjà plusieurs évènements à Boston, Kigali ou encore à Paris au sein de l’Institut Pasteur, elle rassemble plus de 30 organisations et universités réparties, dans 23 pays et continue de croître ; une des premières universités à nous rejoindre était Harvard.
Quels seraient vos conseils pour ceux qui veulent entreprendre ?
Le premier conseil que je peux donner est d’être à l’écoute des besoins et des demandes et de voir si un marché peut y répondre. Je dis souvent sur le ton de la boutade « pour saisir une opportunité, il faut écouter les gens qui se plaignent ! » La première question à se poser est : « Est-ce que le marché en a besoin ? », « Est-ce pertinent pour le marché ? », il faut se méfier des fausses bonnes idées. Le premier rôle de l’entrepreneur est d’apporter des solutions concrètes et souvent très simples.
Vous êtes aujourd'hui directeur général de l'Institut Pasteur de Bangui, quelles sont vos missions ? Quel est votre quotidien ?
Derrière l’Institut Pasteur, il y a un réseau nommé Pasteur Network qui rassemble 33 instituts dans 25 pays dont le plus connu est Paris là où Louis Pasteur a commencé. L’institut travaille sur la recherche dans le domaine de la santé publique, notamment la santé humaine et plus récemment sur la santé animale et environnementale dans une approche « Une seule santé ». L’institut est spécialisé dans la recherche sur le diagnostic en laboratoire et a permis de grands progrès sur le diagnostic et la thérapie de la variole du singe entre autres.
L’Institut Pasteur de Bangui a été créé il y 62 ans et a 3 grandes missions. La première concerne la santé publique puisque nous surveillons les épidémies (du paludisme au Covid19). Notre laboratoire d’analyses médicales est le principal laboratoire en République Centrafricaine, nous accueillons plus de 1000 patients par mois. Notre seconde mission est la recherche, nous travaillons sur les défis du pays en matière de maladie infectieuse, pandémique et épidémique ainsi que sur les maladies non-transmissibles. Dernièrement nous avons beaucoup travaillé sur la variole du singe, la tuberculose ou encore le Covid19 et le Sida. Notre laboratoire a été le premier à produire des données sur les usages et les résultats du Tecovirimat contre la variole du singe aussi appelée Monkeypox. Notre dernière mission concerne la formation de biologiste généraliste et de biologiste en laboratoire.
Notre objectif aujourd’hui est de décentraliser l’Institut Pasteur de Bangui afin d’améliorer l’accès au diagnostic de qualité à toutes les populations centrafricaines et africaines. Nous y arriverons grâce aux partenariats et à l’engagement des diasporas africaines dans nos activités.
Direction de la Formation et de la Réussite
alumni.upsaclay@universite-paris-saclay.fr Tél. : 0169153329 - 0624540976
www.universite-paris-saclay.fr L'Université > Alumni – Réseau des Diplômés
Retrouver toutes nos actualités sur LinkedIn