Nellow conçoit des puces électroniques économes en énergie

Innovation Article publié le 13 février 2025 , mis à jour le 13 février 2025

Jeune start-up tout juste créée, Nellow conçoit des puces électroniques pour le calcul et l’intelligence artificielle à ultrabasse consommation d’énergie. Alliant matériaux quantiques et spintronique, ces puces évitent la surchauffe des composants et réduisent les allers-retours entre la mémoire et le calcul.

La start-up Nellow est issue d’une collaboration de plus de quinze ans entre des équipes de deux laboratoires de recherche : le Laboratoire Albert Fert (LAF – Univ. Paris-Saclay/CNRS/Thales) sur campus de l’Université Paris-Saclay et le laboratoire Spintronique et technologie des composants (Spintec – Univ. Grenoble Alpes/CNRS/CEA) à Grenoble. En 2003, Laurent Vila réalise sa thèse au Laboratoire Albert Fert (alors nommé unité mixte de physique CNRS-Thales) et rencontre son confrère Manuel Bibes, chercheur dans cette même unité. Leur amitié s’installe au fil des années. En 2007, Laurent Vila rejoint Jean-Philippe Attané, enseignant-chercheur à l’université Grenoble Alpes Grenoble et, ensemble, ils développent une équipe de recherche au sein du laboratoire Spintec.

Le Laboratoire Albert Fert et Spintec se focalisent tous deux sur les études en électronique de spin, la spintronique. Ce domaine de recherche démarre avec la découverte de la magnétorésistance géante (GMR) en 1988 par Albert Fert et Peter Grünberg, tous deux lauréats du prix Nobel de physique en 2007 pour leurs travaux. La spintronique exploite une propriété quantique de l’électron, son spin, pour transporter et manipuler une information, en plus de la charge électrique de l’électron. Les applications se situent dans le domaine des technologies de l’information et de la communication.

« Autour de 2018, nous avons fait une découverte importante et qui nous a poussés à concrétiser des idées pour aller vers la start-up », explique Laurent Vila. Un premier brevet est déposé fin 2018. « En 2022, à la sortie du confinement, nous avons décidé de partir dans un processus d’essaimage, porté par le CEA », continue Laurent Vila. Le trio bénéficie alors de formations pour la partie business et candidate au programme de maturation Magellan du CEA. « En 2023, nous avons, en parallèle, été sélectionnés par le programme HEC Challenges + qui accompagne les équipes de startupers Deep Tech. À la fin de la formation, nous avons remporté le prix du Forum, ce qui nous a vraiment donné un coup de projecteur et a attiré les investisseurs », se réjouit Manuel Bibes. Cette période de maturation et d’incubation dure quelques mois et finalement, le 7 octobre 2024, Nellow est officiellement créée.
 

Une technologie de pointe

Son objectif est de développer et de commercialiser une nouvelle génération de puces électroniques pour le calcul et l’intelligence artificielle à ultrabasse consommation d’énergie. « Nous concevons un type de transistor innovant qui peut réduire d’un facteur 1 000 la consommation des puces microélectroniques. Nous nous appuyons sur trois leviers : nos composants sont non volatils, c’est-à-dire qu’ils conservent l’information sans apport d’énergie, ils fusionnent les parties calcul et mémoire, et fonctionnent avec des tensions aussi basses que 0,1 V. Ce dernier point à lui seul diminue la puissance utilisée d’un facteur 100 », explique Laurent Vila.

Le composant développé par Nellow fonctionne comme une petite source de courant qui alimente les éléments suivants. Il est possible de mettre les dispositifs en cascade et de faire des puces microélectroniques qui contiennent un très grand nombre de ces transistors pour réaliser des opérations de calculs complexes.

Alors que dans les puces classiques, les parties calcul et mémoire sont séparées physiquement et que les allers-retours entre elles consomment typiquement 90 % de l’énergie nécessaire au composant, Nellow, en les fusionnant, réduit considérablement la facture énergétique. Les matériaux innovants sont un élément central pour parvenir à ce résultat. La start-up utilise des matériaux quantiques avec des propriétés nouvelles, telles que la ferroélectricité. « C’est ce caractère qui nous permet d’avoir un état non volatile et de travailler à basse tension », précise Manuel Bibes.

Cette technologie est ensuite combinée avec la spintronique. Le principe est de tirer parti du spin de l’électron plutôt que de sa charge afin d’ajouter un degré supplémentaire pour porter une information et la manipuler. « En 2018, nous avons démontré qu’un état ferroélectrique était capable de contrôler la façon dont les spins se propagent dans les matériaux quantiques. Lorsqu’on change l’état, on peut notamment inverser le sens du courant que l’on produit. Nous pouvons donc injecter un courant de spin et le convertir en courant électrique conventionnel. Le signe de ce courant va dépendre de l’état ferroélectrique », détaille Laurent Vila. La spintronique permet ainsi de lire de manière non destructrice un état ferroélectrique. D’habitude, la lecture de cet état ferroélectrique est destructrice et la mémoire est perdue.
 

Une industrie très coûteuse

Dans un contexte de changement climatique, la problématique de la consommation énergétique est cruciale. Aujourd’hui, environ 10 % de la production électrique est dévolue aux technologies d’information. Mais ce chiffre pourrait grimper à 20 % d’ici 2030 et suivre une trajectoire exponentielle. La nécessité est donc bien à la décroissance. « Cette consommation pose un problème industriel majeur. Elle génère de la chaleur au sein des composants et depuis le milieu des années 2000, contrairement aux quatre décennies précédentes, les industriels sont obligés de brider les performances des puces pour éviter leur surchauffe. Nous arrivons également à une limite physique en termes de taille : les dernières générations de transistors dans les processeurs se rapprochent de la taille séparant les atomes, ce qui pose d’énormes challenges pour leur fabrication et le coût des usines nécessaires », précise Manuel Bibes.

Avec l’accroissement de l’intelligence artificielle (IA), les besoins en énergie sont multipliés, car l’IA nécessite une grande quantité de mémoire et génère d’énormes opérations de transferts entre les parties calcul et mémoire. Les cofondateurs de Nellow estiment qu’il faut un changement radical de technologie, qui s’éloigne du seul silicium et mette en jeu de nouveaux principes physiques et matériaux. « Nous prenons le contre-pied en réduisant la consommation énergétique des puces. Elles vont avoir des performances au moins équivalentes tout en utilisant moins d’énergie. Nous continuerons ainsi à respecter les objectifs environnementaux des besoins énergétiques », ajoute Laurent Vila.
 

Vers l’industrialisation

Nellow espère mettre ses produits sur le marché d’ici la fin des années 2020. La technologie est actuellement à un niveau de maturité 3-4 sur l’échelle TRL (Technology readiness level) avec des dispositifs fonctionnels en laboratoire. Par la suite, elle va s’appuyer sur les lignes pilotes du CEA pour monter en échelle et attirer les investisseurs.

La start-up a récemment obtenu un prix au concours d’innovation de l’État i-Lab d’une valeur de 370 000 euros, ce qui l’a aidée à démarrer son activité. « Nos travaux précurseurs ont déjà nécessité près de huit millions d’euros. Le secteur des semi-conducteurs requiert beaucoup d’argent et de personnel et a des coûts de fonctionnement très importants. Pour faire émerger une nouvelle technologie, il faut plusieurs centaines de millions de dollars. C’est pour cette raison qu’il est indispensable de trouver des investisseurs », précise Laurent Vila. Nellow souhaite réaliser une levée de fonds de près de 10 millions d’euros au cours de l’année 2025 : plusieurs investisseurs ont déjà montré leur intérêt pour ses puces qui répondent à un vrai besoin industriel.