Marie-Luce Taupin : quand les statistiques éclairent le vivant

Portrait de chercheur ou chercheuse Article publié le 06 mars 2025

Professeure à l’Université d’Évry et membre du Laboratoire de mathématiques et modélisation d'Évry (LaMME – Univ. Paris-Saclay/CNRS /INRAE/ENSIIE/Univ. d’Évry), Marie-Luce Taupin est spécialisée en méthodes statistiques avancées appliquées aux sciences du vivant et à la santé. Elle est aussi passionnée par l’enseignement et investie dans des responsabilités administratives et politiques.

Après un baccalauréat scientifique, Marie-Luce Taupin s’engage en 1989 dans un Deug (Bac+2) de mathématiques appliquées aux sciences sociales à l’Université de Nanterre. Puis, en 1992, elle rejoint l’Université Paris-Sud (aujourd’hui Univ. Paris-Saclay) pour une licence et une maîtrise en mathématiques. En 1994, elle valide son DEA (l’équivalent d’un master 2 aujourd’hui) de modélisation stochastique. En 1998, elle soutient, dans cette même université, une thèse sur les modèles avec erreurs sur les variables.

Fruit de ses recherches menées à l’Institut national de recherche agronomique (INRA, aujourd’hui INRAE), cette thèse porte sur l’estimation, dans des modèles où les variables explicatives ne sont pas directement mesurables mais altérées par du bruit. Il s’agit d’élaborer des méthodes statistiques robustes pour analyser des phénomènes à partir de données incertaines. Pour résoudre ce problème qui complexifie grandement l'analyse statistique, Marie-Luce Taupin développe des méthodes de déconvolution. « Il s’agit d’une technique qui vise à débruiter certaines variables explicatives pour rendre les estimations plus fiables. »
 

De la déconvolution à l'analyse de survie

Tout en enseignant à l'IUT de l’Université Paris-Descartes (aujourd'hui IUT Paris Rives de Seine de l’Université Paris Cité), Marie-Luce Taupin poursuit ses travaux au Laboratoire de mathématiques d'Orsay (LMO – Univ. Paris-Saclay/CNRS) jusqu'en 2006, avant de rejoindre le laboratoire Mathématiques appliquées de Paris 5 (MAP 5) de l’Université Paris-Descartes en 2007. Durant cette période, elle approfondit son travail sur l'analyse de survie, un domaine essentiel de la biostatistique, qui concerne les données censurées, comme c’est le cas lorsque des patientes et patients sont « perdus de vue ».

Ignorer ces données peut biaiser les résultats : « L’imprécision des mesures peut nous faire passer à côté d’un facteur de risque important ou sous-estimer l’efficacité d’un traitement. » L’enseignante-chercheuse combine l’analyse de survie, la déconvolution et les modèles avec erreurs. Cette approche est essentielle, par exemple, pour travailler sur les données d'Hiroshima, afin d’analyser la survie des personnes exposées aux radiations en tenant compte de l'incertitude sur les doses reçues.


L’exploration de la grande dimension

Marie-Luce Taupin obtient son Habilitation à diriger des recherches (HDR) en 2008. En 2009, elle est recrutée en tant que professeure à l'Université d’Évry. Elle se concentre sur l'estimation en grande dimension, notamment pour analyser la survie de patientes et patients lorsque les données sont nombreuses, comme pour les niveaux d'expression de gènes, et associées à des durées censurées. « Le défi réside dans l’analyse de centaines de milliers de variables pour seulement un millier d’individus. » Pour identifier les quelques variables réellement influentes, elle utilise des pénalités de type Lasso, une méthode reposant sur le principe de sparsité selon lequel seule une fraction des variables est significative.


Délégation à l'INRA : analyse de sensibilité et modèles simplifiés pour l'environnement

En délégation à l'INRA de 2012 à 2015, Marie-Luce Taupin s’attèle à un nouveau défi : la simplification de modèles physiques complexes. Par exemple, « pour simuler la diffusion d'un polluant, il faut intégrer tant de paramètres - type de sol, présence de forêt, d’exploitations agricoles, etc. - que chaque calcul peut prendre plusieurs jours ». L’enseignante-chercheuse conçoit des méta-modèles simplifiés et fiables, basés sur des critères pénalisés. Cette méthode est particulièrement efficace pour analyser la diffusion des produits azotés dans les sols.


De l'analyse de sensibilité aux interactions multiples

Depuis 2015, Marie-Luce Taupin concentre ses recherches sur deux axes majeurs. Le premier axe porte sur la construction d’intervalles de confiance robustes pour le R², un indicateur qui mesure la part de variance expliquée par les variables d’un modèle. « Notre méthode reste fiable même sans hypothèses strictes sur les données, ce qui élargit considérablement ses applications. »

Le second axe explore la sélection et l’analyse des interactions entre variables en régression quadratique. Par exemple, dans un modèle étudiant le risque de maladies cardiovasculaires, l’effet combiné de l’hypertension et du tabagisme peut s’avérer important, même si chaque facteur pris isolément est peu influent. Cette hiérarchie entre variables individuelles et leurs interactions constitue le cœur des recherches de Marie-Luce Taupin, avec des applications concrètes, notamment dans les réseaux métaboliques cellulaires. « À la frontière entre mathématiques et sciences du vivant, un ajustement statistique précis peut transformer notre compréhension de phénomènes complexes. »


Une vision inclusive de l'enseignement

Directrice du département de mathématiques de l’Université d’Évry de 2013 à 2021, Marie-Luce Taupin adopte une approche pédagogique ambitieuse tournée vers l’insertion professionnelle. « Notre mission n’est pas seulement de former de futures doctorantes et doctorants, mais aussi de préparer la majorité de nos étudiantes et étudiants à intégrer le marché du travail. » Dans le cadre du Projet personnel d’études et d’insertion (PPEI), elle encourage ses étudiantes et étudiants à explorer des métiers non académiques liés aux mathématiques, comme la biostatistique ou le trading, en analysant les missions, compétences requises et formations nécessaires.

En parallèle, elle dirige le master 1 Mathématiques en Interaction de 2018 à 2023, avant de prendre la tête du master 2 Data science en santé, assurance et finance en 2024, qu’elle a contribué à créer. Son enseignement, couvrant la licence 2 au master 2, intègre les défis spécifiques des étudiantes et étudiants de l’Université d’Évry. « Beaucoup rencontrent des difficultés sociales, notamment les jeunes internationaux qui peuvent se sentir isolés. Enseigner ici, c’est aussi les accompagner au-delà des mathématiques. »


Engagements pour l'égalité et l'environnement

En parallèle de ses fonctions de professeure des universités et de chercheuse, Marie-Luce Taupin s'engage dans plusieurs instances clés. Membre du Conseil national des universités (CNU) en mathématiques appliquées, elle contribue aux décisions sur les qualifications et promotions des enseignantes-chercheuses et enseignants-chercheurs. À l'échelle locale, elle siège au conseil de faculté, où elle participe aux discussions sur les postes et les maquettes d’enseignement, un rôle important dans un contexte de restrictions budgétaires. Depuis 2025, elle intègre également le comité de pilotage de la Fondation de mathématiques Jacques Hadamard.

L’engagement de l’enseignante-chercheuse se traduit également par sa participation active aux comités Parité et développement durable de son laboratoire. « Pour la parité, nous travaillons à sensibiliser les collègues aux stéréotypes dans les recrutements et à accompagner les nouvelles générations. »

En février 2025, elle organise des journées de sensibilisation pour 250 lycéennes et lycéens, animées par une sociologue. Au niveau environnemental, Marie-Luce Taupin contribue à quantifier l'impact du laboratoire et à repenser la politique des missions scientifiques. « Ces enjeux doivent être intégrés dans notre réflexion collective. »


 

Marie-Luce Taupin - Crédits Christophe Peus