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L’éthique de la recherche à l’Université Paris-Saclay : fonctionnement et problématiques

Recherche Article publié le 20 juin 2024 , mis à jour le 20 juin 2024

Pratique indispensable et pilier majeur d’une recherche de qualité, l’éthique est garante du bon fonctionnement de la recherche et de la protection de ses sujets. Protection des participantes et participants à une étude et de leurs données, intégrité et transparence des procédés scientifiques, questionnement quant à l’intérêt du suivi de certaines études, etc. : le spectre des pratiques d’une recherche au caractère éthique est large. À l’Université Paris-Saclay, c’est avec l’appui d’un comité d’éthique et d’intégrité scientifique (POLETHIS) et de plusieurs laboratoires que les questions d’éthique et de bonnes pratiques de la recherche sont étudiées.

(Cet article est issu de L'Édition n°23)

En juin 2023, l’Université Paris-Saclay a réinstallé son comité d’éthique et d’intégrité scientifique (POLETHIS) dans le but de continuer à mener ses actions visant à garantir une pratique responsable et intègre de la recherche au sein de l’Université. Pour ce faire, POLETHIS s’appuie sur un comité d’éthique de la recherche, des outils de veille et de formation aux grands enjeux de l’éthique scientifique, et un réseau connectant entre eux les différentes unités et équipes de recherche dont les champs d’expertise relèvent de l’éthique et de l’intégrité de la recherche scientifique. Né en 2017, POLETHIS est, depuis juin 2023, présidé par Nathalie Guichard, professeure en sciences de gestion et de management à l’IUT de Sceaux et membre du laboratoire Réseaux, innovation, territoires et mondialisation (RITM – Univ. Paris - Saclay).

Le comité d’éthique de la recherche de l’Université : missions et fonctionnement

Véritable outil à caractère consultatif pour les chercheurs et chercheuses de l’Université Paris-Saclay étant contraints et contraintes de s’assurer des bonnes pratiques éthiques de leurs études, le comité d’éthique de la recherche de l’Université a pour vocation d’émettre des avis consultatifs – favorables, pour modifications, défavorables ou pour redirection vers des Comités de protection des personnes (CPP) – concernant les projets de recherche étudiés. « Le but premier du comité d’éthique de la recherche, c’est de donner un avis éthique sur les protocoles de recherche réalisés dans les laboratoires de l’Université Paris-Saclay », résume Bernadette Martins, présidente du comité d’éthique de la recherche de l’Université Paris-Saclay et responsable de la cellule d’administration de la recherche biomédicale au CEA Paris - Saclay.

En France, c’est la loi Jardé relative aux recherches impliquant la personne humaine qui, depuis 2012, régit le cadre légal d’une pratique éthique de la recherche, notamment biologique ou médicale, à l’aide de CPP. « Or, il existe beaucoup de thématiques de recherches ne répondant pas à cette définition de la loi Jardé. Des études en sociologie, en psychologie, en sciences et techniques des activités physiques et sportives (STAPS), en réalité virtuelle, dans le domaine alimentaire, des études sur données médicales rétrospectives faisant appel à des volontaires, ne rentrent pas dans la juridiction des CPP et de la loi Jardé. C’est pour cette raison que sont nés en France, et notamment au sein des universités, des comités d’éthique », complète la présidente du comité.

Le comité d’éthique de la recherche de l’Université a trois missions principales : assurer que le projet de recherche étudié soit sans risques pour ses participantes et participants et que ces derniers soient informés des modalités du projet, approuver les recherches en amont d’une publication dans une revue scientifique et conseiller les porteurs et porteuses de projets. « Quasiment aucune recherche sur l’être humain ne peut faire l’objet d’une publication dans une revue scientifique sans l’aval d’un comité d’éthique de la recherche », précise Ouriel Grynszpan, membre du Laboratoire interdisciplinaire des sciences du numérique (LISN – Univ. Paris-Saclay, CNRS, CentraleSupélec, Inria) et administrateur du comité d’éthique de la recherche de l’Université. « En sciences du comportement, en STAPS, en sciences cognitives, pour des études concernant la nutrition ou l’éducation, l’avis est exigé. Mais ce n’est pas le cas pour toutes les disciplines. En informatique, cela va dépendre de la revue. Mais l’avis du comité d’éthique est de plus en plus exigé : les études en informatique et concernant les technologies nouvelles ont souvent recours à des tests auprès d’utilisateurs et d’utilisatrices. »

En revanche, la très grande majorité des études revues par le comité d’éthique de l’Université ne présentent pas de risques importants pour leurs acteurs et actrices : « Nous sommes tout de même obligés de protéger les participantes et participants des études, de vérifier qu’il n’existe aucun risque et que ces personnes ont bien reçu une information claire et concise vis-à-vis de l’étude à laquelle elles et ils participent, des droits en rapport à leurs données. Mais généralement, nous avons affaire à des recherches présentant très peu de risques et moins intrusives que celles revues par des CPP », décrit Bernadette Martins. Constitué d’une trentaine de membres, le comité d’éthique de la recherche de l’Université Paris-Saclay se réunit mensuellement pour traiter des études nécessitant son avis. « Un dossier est évalué par deux membres rapporteurs. Le jour de la séance, les deux membres discutent du projet et soulèvent avec le reste du comité les problématiques éthiques du dossier. Et suite à cela, nous donnons un avis que l’on envoie aux porteurs et porteuses du projet étudié pour corrections. Le but étant de donner un avis favorable aux projets étudiés », détaille Bernadette Martins.

L’observation comme questionnement éthique et épistémologique

Vincent Israël-Jost est membre de l’équipe Recherche en éthique et épistémologie du Centre de recherche en épidémiologie et santé des populations (CESP – Univ. Paris-Saclay, UVSQ, Inserm), qui consacre son temps à l’analyse des pratiques scientifiques, notamment dans le domaine médical, et de leurs mutations. Au sein de cette équipe, le chercheur étudie le rapport aux observations médicales, une thématique par laquelle, après des premières études en mathématiques, il est arrivé à la recherche en éthique et en épistémologie – l’étude critique de la science et de la connaissance scientifique. « J’ai commencé par faire des mathématiques, un peu par défaut, raconte-t-il. J’ai effectué un stage en milieu hospitalier, pour travailler sur de l’imagerie médicale et notamment des coeurs qui battent. C'est à partir de ce stage et du mémoire qui en a découlé que j'ai commencé à élaborer un questionnement philosophique sur l'imagerie. »

Vincent Israël-Jost effectue ensuite deux thèses : une en mathématiques appliquées à la tomographie d’émission monophotonique (TEMP), puis une seconde, quelques années plus tard, intitulée L'observation scientifique : aspects philosophiques et pratiques. « L’observation, c’est une catégorie très importante de la philosophie de la connaissance pour expliquer comment on produit une connaissance sur le monde, explique le chercheur. Et l’observation intervient très vite dans ce processus : que cela concerne l’astronomie, la biologie, etc. : à un moment il faut regarder quelque chose. L’observation joue le rôle de point de contact avec le monde. C’est ensuite à partir de ces observations que l’on peut inférer des théories. Et traditionnellement, l'observation est conçue comme étant visuelle et nous mettant directement en présence des phénomènes. Dès lors, qu'en est-il des instruments comme les radiotélescopes, l’imagerie par résonance magnétique (IRM) et d’autres ? Il y a eu beaucoup de débats sur le statut des instruments, beaucoup leur refusant d'être des moyens d'observation puisque ce sont des objets saturés de théories, de leur conception à leur utilisation et à l'interprétation des images produites. J’ai éprouvé, dès mon stage hospitalier, le besoin de comprendre quel rôle jouent ces outils de reconstruction et de visualisation d’images liées à des instruments d’imagerie médicale dans l’élaboration d’une connaissance. »

Au cours de ses recherches, Vincent Israël-Jost relève toutefois l’ambivalence quant à l’utilisation d’images issues d’instruments médicaux qui ont une dimension composite, à la fois reflets de la nature, et calculées, recréées de toutes pièces par des algorithmes. « Ce qui m'a frappé, c'est la méfiance de certaines institutions et notamment des revues scientifiques à l'égard de ces images traitées par algorithmes. Quand on regarde les recommandations de grandes revues comme Nature, on lit qu'il ne faut pas, si possible, utiliser de traitements d'images ou de données, ou le plus légèrement possible. Il y a une réelle préoccupation concernant la déformation ou l'embellissement des données grâce à ces outils de traitement d'images, qui sont pourtant massivement utilisés et indispensables pour mettre les phénomènes en image. C’est ce tiraillement qui m’a intéressé », détaille le chercheur. Outre l’observation, l’objectivité est également une notion que Vincent Israël-Jost étudie. « Je trouve que la science souffre beaucoup d’une mauvaise conceptualisation de l’objectivité, explique le chercheur. C’est un mot que tout le monde connaît, chargé d’une connotation reliée à la science de précision, d’expérimentation et de haute technologie dans l’imaginaire collectif. »

Or, dans la pratique de la science, l’objectivité signifie également un questionnement relatif aux biais possibles, et ce à chaque instant du processus scientifique. « On peut par exemple mener une recherche souffrant d'un biais parce que la question traitée n'est finalement pas très intelligente ou pertinente. Il existe de beaux exemples de cela, notamment ceux identifiés par les chercheuses en épistémologie féministe. Une étude avait mis en avant des résultats selon lesquels les femmes sont inférieures aux hommes dans le domaine des mathématiques. Méthodologiquement, c’est une étude impeccable, significative statistiquement. Le résultat est objectif selon l’imaginaire commun. Mais il existe en fait un énorme défaut d’objectivité dans cette étude. Quelle était l’impulsion de départ ? Quel est le but de cette étude ? Ce résultat indiqué dans l’étude ne mérite-t-il pas d’être relativisé au regard de ce que l’on sait de notre société, où les petits garçons sont par exemple encouragés dès le plus jeune âge à s’intéresser aux sciences, à la mécanique, contrairement aux jeunes filles ? »

Vaccination et Covid-19 : un terrain d’actualité et propice à la réflexion éthique

En parallèle de ses intérêts pour l’observation et l’objectivité, Vincent Israël-Jost conduit, avec ses collègues de l’équipe Recherche en éthique et épistémologie, et ce depuis le début de la pandémie de Covid-19, des études concernant cette crise sanitaire extraordinaire ainsi que, plus généralement, la vaccination. Ces études ont mené à la parution d’un livre, Éthique vaccinale – ce que nous a appris la crise sanitaire, co-écrit avec Paul-Loup Weil-Dubuc, également chercheur au sein de l’équipe Recherche en éthique et épistémologie. Derrière ce livre, une ambition : traiter d’un sujet d’actualité brûlante et de santé publique le plus largement possible. « Ma préoccupation principale était d’éviter les angles morts, confirme Vincent Israël-Jost. Il fallait que ce livre, qui traite de vaccination, parle de tous les grands sujets, ce qui inclut la priorisation vaccinale, l’hésitation vaccinale, l’impact des confinements, etc. » Pour écrire ce livre, les deux chercheurs ont fait appel à des spécialistes, universitaires ou non, dans un but de construction d’un socle de connaissances sur la thématique.

« Nous étions dans une demande de clarification scientifique, précise Vincent Israël-Jost. Il y avait par exemple cette notion de vaccins à ARN messager ou encore le concept d’efficacité des vaccins qui nous étaient inconnus. La première étape pour nous a donc été de nous tourner vers des infectiologues, mais aussi des médecins et des personnes issues du monde associatif, afin de nous constituer une culture autour du vaccin. » Fruit d’un véritable travail collectif, le livre – dont la rédaction de certains chapitres a été confiée auxdits spécialistes – est paru en 2023.

« En éthique, le diable se loge dans les détails »

Plus loin dans les locaux de l’équipe Recherche en éthique et épistémologie, Fabrice Gzil, professeur associé à la Faculté de médecine de l’Université Paris-Saclay, se remémore comment il en est arrivé à travailler au sein de cette équipe, ainsi qu’en tant que co-directeur de l’Espace éthique Île-de-France – véritable espace de débats, de réflexion et de développement d’une culture éthique. « J’étais professeur de philosophie au lycée. Je m’étais passionné pour l’histoire de la philosophie, mais j’avais envie que ces réflexions, ces concepts soient mis au service de questions que se posent aujourd’hui des biologistes et des médecins, raconte Fabrice Gzil. Il y avait, à l’époque, la synthèse des premiers médicaments contre la maladie d’Alzheimer, les anticholinestérasiques. Quelques études suggéraient que ces médicaments pouvaient être plus efficaces sur une certaine sous-population, d’un point de vue génétique. La question était alors : faut-il réaliser un génotype et répertorier son patrimoine génétique à chaque patient venant en consultation avant de prescrire ce médicament ? C’était une évidence, pour les médecins que j’ai rencontrés à l’époque, qu’un philosophe vienne réfléchir à ces problématiques avec eux. »

Depuis lors, Fabrice Gzil a suivi des biologistes, des médecins et des soignants intéressés par la maladie d’Alzheimer et le vieillissement. « J’étais en blouse, j’assistais aux expérimentations biologiques, mais aussi aux consultations et au travail courant de soins. Je suivais les séances de tests diagnostiques. Je suis allé rencontrer des patientes et patients chez elles et eux ou en Établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD). Je voulais être immergé dans le quotidien, dans la vie “concrète” de cette maladie. Mon étude était centrée autour de la question du respect de l’autonomie lorsque celle-ci est fragilisée par la maladie », résume le chercheur. Pendant une quinzaine d’années environ, depuis sa thèse soutenue en 2007, Fabrice Gzil s’est attelé à étudier l’épistémologie de la recherche sur cette pathologie et les nombreuses et difficiles questions d’éthique qu’elle soulève. Il a notamment suivi de près les nombreuses professions liées à la maladie.

« Mon travail a beaucoup consisté à aller sur le terrain pour comprendre la spécificité des différents métiers confrontés à la maladie d’Alzheimer. On sait que 23 métiers différents interviennent auprès des malades et de leurs familles. Les aides-soignantes et aides-soignants, les gériatres, les neurologues, mais aussi les notaires et les mandataires judiciaires exerçant des mesures de protection (curatelle, tutelle). Il y a aussi les ergothérapeutes, les orthophonistes, les spécialistes en psychomotricité pouvant intervenir au besoin. Je me suis imprégné des problématiques que chaque corps de métier rencontre », explique Fabrice Gzil. Il s’est notamment intéressé aux questions juridiques entourant la maladie d’Alzheimer. « Les questionnements sont différents selon le métier. Les juges doivent déterminer si une personne malade a besoin d’une mesure de protection juridique. Les notaires, de leur côté, doivent s’assurer que la personne est encore capable de réaliser, avec le discernement requis, un acte notarié (testament, donation par exemple). On dit souvent, en médecine, que pour être valable, le consentement doit être éclairé, c’est-à-dire informé. Auprès des notaires, j’ai découvert toute la difficulté qu’il y a à déterminer si un consentement est libre, c’est-à-dire non contraint. Il faut en effet s’assurer que la personne, avec une fragilité cognitive, n’est pas sous l’emprise d’un tiers qui exerce sur elle ce que nous appelons une influence abusive. »

Pendant un an, Fabrice Gzil a échangé avec des notaires et réalisé auprès d’eux une enquête. Au terme de ce travail et en collaboration avec le Conseil supérieur du notariat, il a édité une brochure d’une vingtaine de pages expliquant au corps notarial comment repérer les troubles cognitifs chez une personne, comment déterminer si ceux-ci ont un impact sur la capacité à prendre des décisions ou si la personne est victime d’influence abusive. « Ces travaux ont été présentés au Congrès des notaires de France en 2020 et ils font désormais partie de leur patrimoine, de leur manière de raisonner. C’est donc une éthique impliquée mais également, grâce à des objets comme cette brochure, appliquée. Nous avons, aux côtés des notaires, des gériatres et de toutes les autres professions autour de la maladie d’Alzheimer, bâti des notions et des réflexions qui ont aussi enrichi la réflexion éthique et philosophique. C’est par cette immersion, en se “frottant” à toutes ces réalités, que l’on réinvente les concepts éthiques et philosophiques », résume Fabrice Gzil.

Dans le cadre du programme Global Citizens Assembly on Genome Editing (Assemblée globale et citoyenne sur l’édition du génome), organisé par l’Organisation des nations unies (ONU), l’Espace éthique d’Île-de-France a mis en place une série de débats citoyens portant sur l’édition du génome et ses applications dans diverses disciplines (agriculture, santé, etc.). Fabrice Gzil et ses collègues ont profité de l’occasion pour inviter des élèves de lycées franciliens à participer aux débats. « Nous avons fourni un dossier documentaire aux élèves et organisé des rencontres avec des expertes et experts du génome pour préparer des interventions. Nous avons construit des synthèses appréhendables portant sur les avancées concernant l’édition du génome, les actrices et acteurs de cette thématique, les types de problèmes que pourrait résoudre l’édition du génome, etc. Même si nous avions une visée pédagogique, nous avons veillé à ne pas schématiser les interventions. Car en éthique, le diable se loge dans les détails. Cela a permis d’animer le débat, d’apprendre aux lycéennes et lycéens à débattre de manière démocratique et critique, à s’écouter et à s’enrichir », confie le chercheur. Les élèves ont ensuite participé à l’élaboration d’une cartographie des controverses sur le sujet, représentant les problématiques soulevées pendant les débats. Selon Fabrice Gzil, cet exercice est particulièrement intéressant car il donne la parole à une population souvent ignorée des espaces publics : « L’édition du génome peut avoir un impact sur les générations futures. Or les jeunes générations ne sont pas toujours présentes dans les débats sur la bioéthique. Ces rencontres permettent de transmettre des compétences de débat aux futures citoyennes et futurs citoyens, et de recueillir leur avis sur ces questions complexes », conclut-il.

Références