Didier Boichard : révolutionner la sélection des bovins grâce à la génétique

Portrait de chercheur ou chercheuse Article publié le 27 mars 2025 , mis à jour le 27 mars 2025

Didier Boichard est directeur de recherche INRAE au sein de l’équipe Génétique et génomique bovine du laboratoire Génétique animale et biologie intégrative (GABI – Univ. Paris-Saclay/INRAE/AgroParisTech). Ses travaux de recherche, consacrés à la caractérisation et à la sélection génomique des bovins, ont révolutionné le monde agricole.

Originaire de Franche-Comté, Didier Boichard est très tôt attiré par les bovins. Après avoir obtenu son diplôme d’ingénieur agronome AgroParisTech (ex Institut national agronomique Paris-Grignon) en 1982, il effectue son service national en coopération en Tunisie. De retour, après un master 2 de Génétique quantitative à l’université Pierre-et-Marie-Curie (aujourd’hui Sorbonne Université), il effectue une thèse sur la fertilité des vaches laitières comme assistant scientifique à l’INRA, puis part en post-doctorat au Canada en 1990. En 1987, il est recruté à l’INRAE en tant que chargé de recherche et devient directeur de recherche en 1996.
 

La sélection génomique : une révolution pour l’élevage

Au début des années 90, Didier Boichard pressent le potentiel de la génétique moléculaire pour la sélection des bovins sur des caractères d’intérêt. « Les vaches n’ayant qu’un seul veau par an, la sélection se fait principalement par les taureaux. Mais ceux-ci n’expriment pas les caractères d’intérêt, comme la production laitière. On évaluait donc auparavant leur potentiel par testage de descendance. Pour cela, on inséminait des vaches avec le sperme des taureaux, puis on mesurait les performances des vaches filles obtenues. Si elles étaient satisfaisantes, on diffusait le taureau. »

Cette pratique dure 50 ans, jusqu'à l'arrivée de la sélection génomique, qui permet de sélectionner les animaux grâce à leur génotypage dans leur premier mois de vie. Le génotypage implique plusieurs milliers de marqueurs sur tout le génome. L’effet de chacun d’entre eux est estimé dans une grande population « de référence » d’animaux typés et disposant de performances. Pionnier en la matière, Didier Boichard diffuse la sélection génomique dès 2009 chez les bovins laitiers.
 

Synergie entre recherche et sélection

Pour mener ses travaux, Didier Boichard s’appuie sur une base de données bovine créée en 1970. « Cette base, l’une des plus riches au monde, contient une multitude de caractéristiques : pedigree, reproduction, production, santé, apparence, valeur à l'abattoir. Chaque vache a son passeport qui lui rattache toutes ses caractéristiques. » Enrichie au fil du temps, cette base de données constitue une mine d’informations que le chercheur exploite tant à des fins de recherche que pour évaluer les animaux à des fins de sélection. « La valeur génétique des animaux est estimée grâce à des méthodes mathématiques complexes. Nous fournissons ensuite ces informations aux éleveurs et éleveuses qui les utilisent pour choisir les reproducteurs. En contrepartie, nous avons accès à cette base de données pour nos recherches. Il existe donc une forte synergie entre sélection et recherche. »
 

La montée de la génomique

De 2002 à 2009, Didier Boichard dirige le département de génétique animale de l'INRA, soit 500 personnes réparties dans toute la France. Il favorise le développement des plateformes de génomique et transcriptomique à Jouy-en-Josas et Toulouse, et impulse des travaux de recherche sur les marqueurs de Single Nucleotide Polymorphism (SNP). « Leur abondance et la disponibilité d'outils de génotypage à haut débit font de ces marqueurs un choix privilégié pour la sélection génomique. » Le chercheur développe également le Groupement d’intérêt économique (GIE) Labogena afin de fournir la capacité de génotypage nécessaire pour la sélection et la recherche. Parallèlement, avec son équipe, l’Institut de l’élevage (Idele) et la fédération Eliance, il crée l’unité mixte technologique eBIS, une structure public-privé labellisée par le ministère de l'Agriculture et où travaillent 40 personnes du laboratoire GABI.
 

Une sélection génomique durable

La sélection génomique étant un outil puissant, Didier Boichard propose des méthodes de gestion des populations pour obtenir le meilleur compromis entre sélection et maintien de la variabilité génétique. Aujourd’hui, environ 400 000 veaux sont génotypés chaque année, un chiffre en augmentation constante. « Auparavant, nous ne pouvions sélectionner qu’un nombre limité de caractères et ceux non sélectionnés étaient souvent dégradés. » Aujourd'hui, l’éleveur ou l’éleveuse sélectionne ses animaux de façon plus équilibrée, en fonction d’une multitude de caractères : production laitière, qualité du lait, santé, morphologie, longévité, docilité, et même prochainement les émissions de méthane et la thermotolérance.

Plus récemment, l’équipe de Didier Boichard a débuté l’exploration de l'épigénétique, « dont les mécanismes modifient l'expression des gènes sans modifier les gènes eux-mêmes ». Son équipe contribue à la première puce d'épi-génotypage bovine, un outil utilisable à grande échelle. « De la même manière que nous avons développé des puces SNP pour analyser le génome, nous allons maintenant analyser le niveau de méthylation de l’ADN et étudier son impact sur les performances futures des animaux, voire de leur descendance. »
 

Détecter les anomalies génétiques

Au début des années 2000, Didier Boichard entame des travaux sur la détection des anomalies génétiques des bovins. « Elles ont toujours existé mais étaient difficiles à reconnaître. Aujourd'hui, grâce au génotypage à grande échelle, on identifie avec précision la mutation à l'origine de l'anomalie. » Il contribue à la création de l'Observatoire des anomalies bovines (Onab) puis coordonne le projet ANR BONAVO. Son équipe met au point des tests de dépistage mis à disposition des éleveurs et éleveuses, en particulier la « puce SNP utilisée en sélection génomique qui devient un outil de diagnostic simple et rapide ».

Si les anomalies simples sont désormais faciles à caractériser, d’autres restent plus difficiles à identifier, car peu visibles au niveau phénotypique. Didier Boichard et son équipe développent donc différentes approches, reposant sur la base de données de génotypages et de phénotypes, afin d’identifier les mutations responsables de mortalité embryonnaire ou de durée de vie raccourcie.
 

Vers le séquençage à grande échelle

Pour identifier les mutations à l’origine de caractères, monogéniques ou complexes, il est nécessaire de disposer d’un grand nombre de séquences de génome complet. Didier Boichard cofonde à cette fin en 2013 le consortium international 1000 Bull Genomes Consortium Project. « Chaque membre contribue pour un nombre minimum de séquences et a accès à celles des autres. Après dix ans, le consortium a partagé près 6 000 séquences. » Les travaux continuent avec une stratégie analogue appliquée au séquençage avec lectures longues, pour caractériser le pangénome bovin.
 

Prédire les émissions de méthane

L'équipe de Didier Boichard vient également de développer une méthode innovante capable de prédire la production de méthane des vaches grâce aux spectres infrarouges du lait. Cette approche, qui exploite les millions de données déjà disponibles, contourne les limites des mesures directes, coûteuses et complexes. En effet, les fermentations dans l'estomac de la vache, responsables de la production de méthane, influent sur la composition du lait et sont détectées par analyse spectrale. D’autres pistes sont aussi explorées pour réduire ces émissions de méthane, comme favoriser l'âge du premier vêlage à deux ans pour réduire le nombre de vaches « improductives », augmenter leur longévité pour réduire le besoin de renouvellement ou réduire le poids des vaches.

Membre de l’Académie vétérinaire de France, Didier Boichard est lauréat de plusieurs prix, dont la médaille d’or 2015 de l’Académie d’agriculture de France, les Lauriers de l’impact 2016 de l’INRAE et le prix Dujarric de la Rivière 2024 de l’Académie des sciences. Autant de coups de projecteur sur des recherches qui impactent un secteur stratégique de la société.