Christine Keribin : explorer les données pour découvrir et modéliser leur structure

Portrait de chercheur ou chercheuse Article publié le 20 mars 2025 , mis à jour le 27 mars 2025

Christine Keribin est mathématicienne, professeure des universités, membre du Laboratoire de mathématiques d’Orsay (LMO – Univ. Paris-Saclay/CNRS), et de l’équipe-projet Inria CELESTE. Spécialiste en statistiques, apprentissage et machine learning, elle consacre une grande partie de ses recherches au clustering et co-clustering par modélisation probabiliste.

Vu de l’extérieur, rien ne semblait prédestiner Christine Keribin à une carrière d’enseignante-chercheuse en mathématiques. Diplômée de l’École nationale supérieure des techniques avancées (ENSTA), elle débute dans les années 80 son parcours d‘ingénieure à Dassault Systèmes, où elle gravit les échelons jusqu’à devenir responsable de services de développement. Pourtant, au fil des ans, une petite voix intérieure lui rappelle sans cesse son goût pour la recherche et la transmission. « J’avais déjà envie de faire une thèse après l’ENSTA, mais mon entourage m’avait plutôt encouragée à me lancer dans le "monde du travail", ce que j’ai fait », se souvient Christine Keribin.

Après dix ans dans l’industrie, elle décide donc de prendre un virage audacieux et de partager son temps entre son poste d’ingénieure et un retour aux études. « Fascinée par l’aléatoire et curieuse de comprendre comment modéliser le hasard, je me suis engagée dans un DEA [l’équivalent d’un master 2 aujourd’hui] suivi d’une thèse en statistique mathématique », explique l’enseignante-chercheuse. À l’issue de cette thèse, elle cumule pendant trois ans la fonction de professeure associée à temps partiel au Laboratoire de mathématiques d’Orsay (LMO – Univ. Paris-Saclay/CNRS) et son activité à Dassault Systèmes, avant de quitter définitivement le monde de l’entreprise lorsqu’elle obtient en 2002 un poste de maîtresse de conférences à l’IUT d’Orsay. En 2006, elle rejoint le LMO et devient professeure des universités en 2024.
 

Le choix des statistiques

Son intérêt pour la modélisation du hasard, Christine Keribin l’explique comme une sorte de contre-pied avec ce qui, pendant des années, a constitué le cœur de son activité en entreprise. « Moi qui, à Dassault Systèmes, travaillais sur un logiciel permettant de faire de la conception assistée par ordinateur (CAO), donc quelque chose de très déterministe, je trouvais l’aléatoire mystérieux, j’étais fascinée par l’idée de structurer l’incertitude, j’étais curieuse de comprendre comment modéliser le hasard », indique-t-elle.

Confrontée au choix entre statistiques et probabilités au moment de son retour aux études, elle décide de s’orienter vers un DEA en modélisation statistique et stochastique, puis une thèse en statistique mathématique. « Ce qui m’a particulièrement intéressée dans les statistiques, c’est leur aspect de "problème inverse" : plutôt que de partir d’un modèle pour en observer les résultats, il s'agit de partir des observations pour tenter de comprendre quel modèle pourrait les avoir générées » explique Christine Keribin.

Autre critère important dans son choix de s’orienter vers les statistiques : la possibilité d’y approcher à la fois la théorie, la méthodologie et des applications. « Je n’avais pas envie de me cantonner à l’abstrait. Quand j’obtenais des résultats théoriques, j’avais envie de mettre en œuvre des algorithmes pour voir leur fonctionnement en environnement réel », ajoute l’enseignante-chercheuse, dont la suite de la carrière vient confirmer qu’elle a fait le bon choix.
 

De la théorie aux données réelles

Si lors de sa thèse, Christine Keribin se concentre d'abord sur des aspects très théoriques des statistiques, notamment des propriétés mathématiques d'estimateurs dans certains modèles statistiques, elle oriente ensuite progressivement ses recherches vers des applications concrètes. « Certaines de mes rencontres avec d’autres chercheurs m’ont amenée à aller de la théorie vers l’exploration de données d’applications. J’ai aussi découvert dans les applications réelles des problématiques intéressantes qui nourrissent en retour la recherche théorique », explique l’enseignante-chercheuse.

De fil en aiguille, poussée par la curiosité, Christine Keribin s’intéresse ainsi à l’exploration des données dans des domaines aussi variés que la génomique, l’imagerie IRM fonctionnelle du cerveau, les feux de forêt et même des données d’entreprise. « J’ai notamment collaboré avec Stellantis pour améliorer des critères de fiabilité de pièces mécaniques ou encore avec la SNCF pour prédire l’affluence des passagers dans les rames de Transilien. Aujourd’hui, je continue d’explorer ce lien entre modélisation statistique et applications, en travaillant par exemple sur des données de cytométrie en flux pour la détection précoce de cancers », précise-t-elle. Une manière de boucler la boucle pour celle qui vient de l’industrie.
 

Le goût de transmettre… et d’encourager

Son retour vers le monde académique, Christine Keribin le doit également à son goût pour la transmission et à sa volonté d’enseigner. « Quand j’étais à Dassault Systèmes, je donnais déjà des TD à l’ENSTA », se souvient l’enseignante-chercheuse qui ne cesse, depuis, d’enseigner des sujets allant des statistiques au machine learning en passant par les bases de données, tout en y associant les logiciels pour répondre aux besoins des étudiantes et étudiants, et aux attentes du monde professionnel. « J’ai toujours considéré qu’il était de notre mission d’accompagner les étudiantes et étudiants dans leur insertion professionnelle et de les soutenir dans la construction de leur confiance en eux », ajoute-t-elle.

Rien d’étonnant, dans ce cas, à voir Christine Keribin accorder une attention particulière aux étudiantes et s’investir dans la promotion de la place des femmes en sciences. « Comment ne pas se sentir concernée par cet enjeu quand l’une de nos meilleures étudiantes, venant de décrocher un stage prestigieux à l’étranger, me confie qu’elle hésite à accepter par peur de ne pas être à la hauteur ! » Consciente de l’urgence à lutter contre les stéréotypes, Christine Keribin n’hésite donc pas, au-delà de ses heures d’enseignement, à participer à des programmes de mentorat au sein de l’université.
 

Créer des passerelles avec le grand public

Depuis plus de dix ans, Christine Keribin est par ailleurs engagée dans la Société française de statistique (SFdS), où elle occupe aujourd’hui le poste de vice-présidente. Son implication dans la SFdS commence par l’invitation d’un collègue, alors président de cette société savante, à participer à une conférence qu’il organise sur l’usage de différents logiciels statistiques.

De fil en aiguille, Christine Keribin s’implique davantage dans la SFdS, en organisant des sessions avec des professionnels du monde de l’entreprise sur leurs usages des outils statistiques. « J’ai alors vécu des échanges passionnants qui m’ont fait prendre conscience de l’importance de vulgariser et de diffuser la connaissance de notre discipline auprès d’un public très large. Les statistiques et le machine learning étant partout dans notre société, il est nécessaire d’aider le grand public à mieux les appréhender », explique Christine Keribin. Une autre manière pour la chercheuse de transmettre sa discipline en créant des ponts entre la recherche, l’entreprise et le grand public.

 

Christine Keribin (c)Christophe Peus