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Kęstutis Česnavičius, à l’assaut des conjectures mathématiques

Portrait de chercheur ou chercheuse Article publié le 03 mai 2024 , mis à jour le 15 mai 2024

Kęstutis Česnavičius est mathématicien, chargé de recherche CNRS au Laboratoire de mathématiques d’Orsay (LMO – Univ. Paris-Saclay, CNRS). Spécialiste de géométrie arithmétique, il s’intéresse plus précisément à la théorie de Hodge p-adique, à l’arithmétique des courbes elliptiques et aux problèmes sur les groupes réductifs. Il est lauréat du prix Jacques Hebrand 2023 de l’Académie des sciences pour avoir résolu les conjectures de pureté d’Auslander-Goldman, de Grothendieck et de Gabber.

Il est courant de dire qu’il existe deux types de mathématiciens : ceux qui bâtissent des théories et ceux qui résolvent des problèmes. C’est, à n’en pas douter, dans la seconde catégorie que s’inscrit bien volontiers Kęstutis Česnavičius, tout en admettant le caractère légèrement caricatural de cette distinction. Ce goût pour la résolution de problème, le chercheur la tient de ses années de lycée en Lituanie. « J’ai eu la chance de participer à cette époque, au sein de l’équipe de Lituanie, aux Olympiades internationales de mathématiques que j’ai vécues comme un grand jeu logique. J’y ai découvert ce qui continue de me passionner dans la recherche en mathématiques : le fait de partir de ce que l’on connaît et de chercher un chemin pour aller là où l’on veut arriver, en éclairant progressivement ce que l’on n’aperçoit pas encore », explique le chercheur.

Son lycée terminé, c’est en Allemagne, à la Jacobs University, que Kęstutis Česnavičius entreprend une licence de mathématiques. Il s’envole ensuite pour les États-Unis et rejoint le Massachusetts Institute of Technology (MIT) pour son doctorat consacré à l’arithmétique des courbes elliptiques, puis l’Université de Berkeley où ses recherches commencent à s’orienter vers les formes modulaires et les courbes modulaires. Il passe ensuite quatre mois à Bonn en Allemagne pour approfondir la question des espaces perfectoïdes avant d’être recruté par le CNRS et de rejoindre le Laboratoire de mathématiques d’Orsay en 2017.
 

Les premiers succès en arithmétique des courbes elliptiques

Lorsqu’il débute son doctorat au MIT, Kęstutis Česnavičius se découvre un profond intérêt pour la géométrie arithmétique. Et pour cause, il y a dans ce domaine, pourtant très théorique, énormément de problèmes ouverts à explorer. « J’ai tout de suite été fasciné par le niveau d’élaboration des théories qui y sont conçues pour répondre à des questions finalement très concrètes mais qui pourtant résistent. »

La question qui va l’intéresser pendant sa thèse, c’est dans un exposé sur l’arithmétique des courbes elliptiques qu’il la découvre. « Le professeur qui donnait ce cours a présenté une conjecture presque résolue mais dont un cas résistait encore. J’ai donc décidé d’approfondir ce cas et finalement réussi à résoudre la conjecture. » Un premier résultat qui donne lieu à un premier article et encourage le jeune chercheur à choisir d’autres problèmes en lien avec des cas plus généraux de cette même problématique.
 

De la conjecture de Manin à la théorie de Hodge p-adique

Si à l’issue de sa thèse, Kęstutis Česnavičius décide de poursuivre son parcours à l’Université de Berkeley, c’est parce qu’on lui offre l’opportunité, peu standard à l’issue d’une thèse, de se concentrer sur sa recherche sans avoir une charge d’enseignement. « Ma recherche a alors pris un virage puisque j’ai commencé à m’intéresser aux formes modulaires et aux courbes modulaires qui sont des modules des courbes elliptiques », précise-t-il. C’est à un nouveau problème, la conjecture de Manin, qu’il consacre ses recherches. « Il s’agissait là d’une conjecture beaucoup plus sérieuse que le problème auquel je m’étais intéressé pendant ma thèse, d’autant plus que je n’étais pas expert du sujet des courbes modulaires et des formes modulaires. J’ai donc dû beaucoup approfondir le sujet avec mon hôte qui en était un spécialiste. »

Une fois de plus, ses efforts paient puisqu’au bout de deux ans il parvient à résoudre un cas nouveau de la conjecture de Manin. « La conjecture reste ouverte, mais ce résultat a contribué à élargir énormément mes perspectives », ajoute le chercheur. C’est en essayant de trouver de nouvelles pistes pour résoudre les cas restant de cette conjecture de Manin qu’il se dirige vers la théorie de Hodge p-adique, un sujet très fondamental et très dynamique. « J’ai commencé à explorer la possibilité que les deux sujets - la théorie de Hodge p-adique et la conjecture de Manin - soient liés. Cela n’a pas donné de réels résultats pour la conjecture de Manin, mais cela m’a aidé à découvrir et à approfondir les espaces perfectoïdes qui, depuis 2012, permettent de grandes avancées. »

Cet intérêt pour les espaces perfectoïdes le mène à passer quatre mois à Bonn, auprès de celui qui en est à l’origine, juste avant de rejoindre la France. « Ces quatre mois ont été très importants puisqu’ils m’ont permis de trouver une nouvelle direction de recherche : appliquer la théorie des espaces perfectoïdes pour résoudre la conjecture de Grotendieck et Auslander-Goldman sur la pureté du groupe de Brauer. »
 

Un nouvel horizon : la conjecture de Grotendieck

Il poursuit cette nouvelle recherche au sein du Laboratoire de mathématiques d’Orsay qu’il intègre après avoir été recruté comme chargé de recherche au CNRS en 2017. Il y rencontre le succès puisqu’il résoud la conjecture de Grotendieck avec des espaces perfectoïdes. « Cela a été fascinant de parvenir, avec cette nouvelle théorie, à résoudre une conjecture de pureté qui constituait depuis les années 70 un problème majeur. »

Fort de ce résultat important qui lui vaut de recevoir en 2023 le prix Jacques Hebrand de l’Académie des sciences, Kęstutis Česnavičius décide ensuite assez naturellement de voir si cette même méthode est également capable de résoudre des conjectures plus générales. « Une nouvelle fois, nous sommes parvenus, en collaboration avec Peter Scholze, le créateur des espaces perfectoïdes, à de très beaux résultats qui ont donné lieu à la publication d’un article important sur la pureté en cohomologie plate. »

Si, après cela, Kęstutis Česnavičius continue de s’intéresser à des questions liées à la pureté, il commence également un peu à s’éloigner des perfectoïdes pour se consacrer à la conjecture de Grotendieck-Serre. « En 2020, j’ai réussi à résoudre un petit cas de cette conjecture, ce qui m’a mené à me tourner vers les cas non abéliens de pureté et l’étude des torseurs sur des groupes réductifs, et à résoudre récemment un autre cas de Grothendieck-Serre », ajoute le chercheur qui, en parallèle, a également obtenu quelques avancées sur la conjecture de Manin.
 

Un amoureux de la culture mathématique à la française

À la question légitime de savoir pourquoi un chercheur lituanien, ayant étudié en Allemagne et aux États-Unis, décide de s’installer en France, un pays qu’il n’avait jamais visité auparavant, Kęstutis Česnavičius répond simplement que cela a été pour lui comme une évidence. « Au-delà de la tradition française importante dans mon domaine de recherche, je dois reconnaître que j’ai toujours été admiratif de la culture des mathématiques qui domine en France. Il y a ici une communauté de mathématiciens non seulement très importante - nous sommes plus nombreux à Paris que sur toute la côte est des États-Unis - mais aussi très dynamique, ce qui est très porteur », conclut le chercheur. Les mathématiques à la française n’ont pas fini de produire des fruits !


 

Kestutis Cesnavicius